Sécurisez vos rapports entre associés : les clauses "Buy or Sell" & "Bad/Good Leaver"
Les clauses "buy or sell" et les dispositifs "bad leaver" ou "good leaver" sont désormais devenus des outils indispensables dans les relations entre associés. Elles permettent de structurer et de sécuriser leurs relations, évitant ainsi les situations de blocage potentiellement paralysantes pour la gouvernance de la société. Inspirés du droit anglo-saxon, leurs mécanismes sont désormais bien ancrés dans le droit français et leur application en jurisprudence est en constante évolution.
Ces clauses vont avoir pour objet d’anticiper et réguler les départs d'associés, qu'ils soient volontaires ou contraints, tout en assurant la stabilité de l'entreprise et la préservation de l'équilibre de la gouvernance. La maîtrise de ces dispositifs est essentielle, notamment dans les opérations de private equity.
Sommaire
1. Les fondamentaux de la clause "Buy or Sell"
2. Mise en œuvre et validité de la clause "Buy or Sell"
3. Présentation des clauses "Bad Leaver" et "Good Leaver"
4. La clause "Bad Leaver" : une vigilance juridique accrue
5. Optimisation de la rédaction et mise en œuvre des clauses "Bad/Good Leaver"
6. Conclusion
7. FAQ : Clauses "Buy or Sell" et "Bad/Good Leaver"
1. Les Fondamentaux de la Clause "Buy or Sell"
La clause "buy or sell", souvent insérée dans les pactes d'associés, est conçue pour organiser une séparation rapide et efficace en cas de mésentente profonde ou de divergence irréconciliable. Son objectif principal est d'éviter que la société ne soit paralysée par un désaccord persistant entre ses dirigeants ou ses actionnaires.
Comment fonctionne-t-elle ?
· Un associé (l'initiateur) va proposer à l'autre (le bénéficiaire) de lui céder la totalité de sa participation, à un prix et des conditions préétablis précises.
· L'associé bénéficiaire de l'offre dispose alors d'un délai déterminé pour "lever l'option", c'est-à-dire acheter les titres de l'initiateur.
· Si le bénéficiaire ne lève pas l'option, il est contraint de céder ses propres titres à l'associateur initiateur, aux mêmes prix et conditions que ceux initialement proposés.
L'efficacité de la clause "buy or sell" réside dans sa capacité à inciter les parties à formuler une offre juste. L'initiateur de la clause ne sait pas s'il sera acheteur ou vendeur de ses propres titres. Cette incertitude le pousse à proposer un prix équitable, évitant ainsi le recours coûteux et chronophage à une expertise externe pour la détermination du prix des titres.
2. Mise en œuvre et validité de la clause "Buy or Sell"
Les conditions de mise en œuvre de la clause "buy or sell" sont essentielles pour sa validité et son efficacité. Elle est généralement déclenchée par un désaccord grave et persistant, susceptible d'entraîner une paralysie dans le fonctionnement de la société. La jurisprudence est venue apporter des éclaircissements sur ce point.
Conditions de déclenchement :
· Désaccord grave et persistant : Un blocage des résolutions en assemblée générale, un conflit sur des décisions stratégiques (ex: transfert de siège social), ou un dépôt de plainte entre associés peuvent en être des indicateurs.
· Mise en œuvre de bonne foi : La Cour de cassation rappelle constamment que la clause doit être exercée de bonne foi. Cependant, l'absence de transmission de documents justifiant le prix proposé n'est pas automatiquement caractérisée comme de la mauvaise foi si la clause ne le prévoit pas expressément. D'où l'importance de détailler précisément ces exigences dans le pacte d'associés.
La Cour de cassation a définitivement confirmé la validité des clauses "buy or sell" dans une décision majeure de sa Chambre commerciale du 12 février 2025 (n° 23-16.290). Un associé avait contesté la clause, arguant que le prix de vente n'était ni déterminé ni déterminable, une exigence de l'article 1591 du Code civil. La Cour a écarté cet argument, jugeant que le mécanisme même de la clause permettait la détermination du prix. Le prix est considéré comme déterminable à partir du prix proposé par l'associé initiateur. Si le bénéficiaire de l'offre n'achète pas les titres, il s'engage à vendre les siens aux mêmes conditions. Ce mécanisme d'offres alternatives assure que la fixation du prix ne dépend pas de la seule volonté d'une partie, rendant la vente parfaite dès l'exécution des engagements.
3. Présentation des clauses "Bad leaver" et "Good leaver"
Contrairement à la clause "buy or sell" qui gère les désaccords généraux, la clause "bad leaver" et "good leaver" est plus spécifiquement conçues pour anticiper et réguler le départ prématuré de membres clés de la société (associés, dirigeants, associés-salariés).
L’objectif principal de ces clauses est de maintenir la stabilité et l’intégrité de la structure actionnariale de l’entreprise. Elles permettent également de préserver la confiance des investisseurs et des partenaires commerciaux en assurant une transition en douceur des parts sociales, ce qui est souvent crucial pour la réputation de l’entreprise et la continuité de ses activités.
En France, ces clauses sont encadrées par l'article 1124 du Code civil relatif aux promesses unilatérales de vente et doivent impérativement respecter les droits fondamentaux des associés pour éviter toute nullité.
3.1. La clause "Bad leaver"
La clause "bad leaver" a pour objectif de sanctionner un départ jugé "fautif" ou prématuré. Elle prend souvent la forme d'une promesse unilatérale de vente qui permet aux autres associés de racheter les titres du "bad leaver" à un prix décoté. Plus le départ est considéré comme "fautif" (par exemple, licenciement pour faute grave, démission sans préavis raisonnable, violation des engagements du pacte d'associés, manquement aux obligations de non-concurrence), moins le prix de rachat est favorable.
3.2. La clause "Good leaver"
À l'inverse, la clause "good leaver" prévoit un mécanisme favorable pour l'associé qui quitterait l'entreprise pour des raisons indépendantes de sa volonté ou non imputables à une faute (ex: retraite, maladie, invalidité, décès, licenciement économique). Dans ce cas, les parts sont généralement rachetées à leur juste valeur, voire selon des conditions financières préférentielles, reconnaissant ainsi la contribution de l'associé à la société.
4. La clause "Bad leaver" reste sous surveillance
La clause "bad leaver" est sous haute surveillance de la jurisprudence, notamment de la Cour d'appel de Paris (Cour d'appel de Paris - 12 mai 2022 n° 20/05597), en raison du risque de requalification en sanction pécuniaire prohibée par l'article L1331-2 du Code du travail. Si une clause est ainsi requalifiée, elle est "réputée non écrite", ce qui annule ses effets.
Qu'est-ce qu'une sanction pécuniaire prohibée ?
Une sanction pécuniaire prohibée est définie comme toute mesure prise par l'employeur à la suite d'un agissement fautif du salarié, et qui affecte directement sa rémunération. Ainsi, une clause "bad leaver" qui contraint un associé-salarié à céder ses titres à un prix décoté suite à un départ pour faute peut être interprétée comme une telle sanction, surtout si elle est rédigée de manière imprécise.
5. Optimisation de la rédaction et mise en œuvre des clauses "Bad/Good leaver"
Pour éviter une requalification de la clause "bad leaver" en sanction pécuniaire prohibée, sa rédaction reste minutieuse et sa mise en œuvre rigoureuse.
5.1. Définition explicite et exhaustive des termes
La clarté dans la rédaction est un élément clé. Les définitions et les conditions d’application de la clause de "bad leaver" ou "good leaver" doivent être précises et exhaustives :
· "Bad leaver" : Des exemples typiques sont la faute grave, la démission sans préavis raisonnable, la violation du pacte d'associés, ou le manquement aux obligations de non-concurrence.
· "Good leaver" : Des exemples typiques sont la retraite, l'invalidité, le décès ou la réalisation d'une période de service fidèle.
5.2. Causes de mise en œuvre : la diversification des motifs
Idéalement, dans la clause de « bad leaver » son motif ne doit pas être limité aux seuls cas de licenciement pour faute. La jurisprudence tend à ne pas retenir la clause comme une sanction pécuniaire prohibée, si elle s'applique à un éventail plus large de situations, incluant les licenciements non fautifs ou toute perte de la qualité de salarié, quelle qu'en soit la cause.
On peut prévoir que la clause de « bad leaver » s’appliquera à l’associé qui quitte l’entreprise avant une date convenue ou dans des conditions défavorables à celle-ci.
A signaler : Même si une clause prévoyait d'autres cas que la faute, la Cour d'appel de Paris (C.A 12 mai 2022) a tout de même pu la requalifier en sanction pécuniaire prohibée, dès lors qu’un lien de causalité direct pouvait être établi entre le licenciement pour faute grave et la mise en œuvre de la clause "bad leaver". La vigilance est donc de mise non seulement dans la rédaction, mais aussi dans les circonstances de son emploi.
5.3. Prise en compte de la qualité de l'auteur de la mise en œuvre
Une sanction prohibée ne peut émaner que de l'employeur. Il est donc crucial d'éviter toute confusion entre le bénéficiaire de la clause (généralement les autres actionnaires ou la société elle-même) et la société employeur.
· Exemple de piège à éviter : La Cour d'appel de Paris a relevé qu'une clause était une sanction prohibée lorsque son auteur cumulait les fonctions d'associé majoritaire, de salarié et de président de la société, et avait notifié le licenciement pour faute grave en sa qualité de président de la société. La distinction des fonctions et des intérêts sont pris en compte.
5.4. Précautions supplémentaires pour une clause sécurisée
Pour assurer la validité de vos clauses, pensez à intégrer :
· Décote progressive : Prévoir un système de décote qui évolue dans le temps (ex: décote plus forte au début, diminuant avec l'ancienneté).
· Proportionnalité et équité : Par exemple, le rachat des parts d’un « bad leaver » à un prix minoré doit correspondre à la perte réelle subie par l’entreprise du fait de son départ.
· Mécanismes d'expertise : Intégrer des clauses prévoyant le recours à des experts indépendants pour la valorisation des titres en cas de désaccord.
· Distinction des obligations : Différencier clairement les obligations liées au statut d'associé et celles liées au statut de salarié.
· Documentation complète : Assurer la traçabilité et la justification objective de la cause de la sortie.
· Séparation temporelle : Éviter l'application immédiat des clauses juste après une sanction disciplinaire, afin de dissocier les deux événements.
· Motivation détaillée : Fondée la sur des éléments objectifs. La décision d'appliquer la clause doit être clairement motivée.
· Rédaction séparée du pacte d’associés, afin d’assurer une lisibilité non ambiguë du mécanisme d’application de la clause.
6. Conclusion :
La validité des clauses "buy or sell" est désormais solidement établie par la Cour de cassation, mais leur rédaction doit être précise pour lui garantir une détermination objective du prix et lui permettre une efficacité sans faille.
Les clauses "bad leaver", elles exigent une vigilance renforcée tant dans leur formulation (causes de déclenchement non strictement liées à la faute) que dans leur mise en œuvre (clarté sur l'auteur de l'exercice pour éviter le lien avec l'employeur). Cette rigueur est indispensable pour ne pas les voir annulées comme sanctions pécuniaires prohibées, avec des conséquences financières potentiellement désastreuses.
L'avenir de ces clauses reste à écrire, avec une intégration croissante des critères ESG (Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance) et une adaptation nécessaire aux nouveaux modèles économiques du numérique. Les praticiens devront rester attentifs à ces évolutions pour offrir des solutions juridiques efficaces et sécurisées.
Compte tenu de la complexité de ces dispositifs et des enjeux financiers qu'ils représentent, il est vivement recommandé de faire appel à un avocat spécialisé en droit des sociétés pour leur rédaction et leur mise en œuvre. Chaque situation est unique et nécessite une analyse spécifique ainsi qu'une solution sur mesure.
Le cabinet BVavocats est à vos côtés pour vous accompagner dans la sécurisation de vos accords entre d'associés.
7. FAQ : Clauses "Buy or Sell" et "Bad/Good Leaver"
1. Qu’Est-ce qu'une clause "Buy or Sell"? Il s'agit d'une clause insérée dans un pacte d'associés qui organise un mécanisme de séparation rapide en cas de désaccord grave. Un associé propose à l'autre de lui céder sa participation, et l'autre doit soit acheter les parts du premier, soit lui vendre les siennes au même prix.
2. Pourquoi utiliser une clause "Buy or Sell" dans un pacte d'associés ? Elle permet de régler amiablement les différends entre associés, d'éviter les contentieux longs et coûteux, et de prévenir la paralysie de la société due à une mésentente prolongée.
3. La clause "Buy or Sell" est-elle valide en France ? Oui, la Cour de cassation a confirmé sa validité, notamment dans une décision du 12 février 2025 (C.Cass.Com n° 23-16.290) .
4. Comment le prix est-il déterminé dans une clause "Buy or Sell"? Le prix est considéré comme déterminable à partir de l'offre initiale faite par l'associé initiateur. Le mécanisme de l'offre réciproque garantit que le prix n'est pas fixé par la seule volonté d'une partie.
5. L'associé initiateur doit-il justifier le prix proposé dans une offre "Buy or Sell" ? Non, en l'absence de clause contraire, la Cour de cassation a estimé que la partie qui propose un prix n'est pas tenue de le justifier ou de fournir des documents permettant d'apprécier la valorisation retenue. Il est donc crucial de contractualiser le mécanisme si nécessaire.
6. Quelles sont les conditions de déclenchement typiques d'une clause "Buy or Sell" ? Elle est généralement déclenchée en cas de désaccord grave et persistant susceptible d'entraîner une paralysie dans le fonctionnement de la société, comme le blocage de résolutions en assemblée générale ou des conflits sur des décisions stratégiques.
7. Quel est le rôle de la bonne foi dans la mise en œuvre de ces clauses ? La Cour de cassation rappelle que la clause "buy or sell" doit être mise en œuvre de bonne foi. Bien que l'absence de justification du prix ne caractérise pas automatiquement la mauvaise foi, le respect des procédures et l'absence d'intentions malveillantes sont essentiels.
8. Quelle est la différence entre une clause "Buy or Sell" et une clause de "Bad leaver" ? La clause "Buy or Sell" gère la séparation des associés en cas de conflit, tandis que la clause de "bad leaver" vise à anticiper le départ prématuré de personnes clés, souvent en prévoyant une décote sur le prix de rachat de leurs titres en cas de départ "fautif".
9. Quels sont les principaux risques associés aux clauses de "Bad leaver" ? Le risque majeur est leur requalification en sanction pécuniaire prohibée par le droit du travail, ce qui les rendrait "réputées non écrites" et annulerait leurs effets.
10. Pourquoi une clause de "Bad leaver" peut-elle être qualifiée de sanction pécuniaire prohibée ? Si elle impose une décote sur le prix de cession des titres d'un salarié en lien avec un comportement fautif ou un licenciement pour faute, et qu'elle est jugée émaner de l'employeur, elle peut être considérée comme une sanction pécuniaire interdite par le Code du travail.
11. Comment peut-on atténuer les risques de requalification d'une clause de "Bad leaver" ? Il est crucial d'être vigilant dans la rédaction des cas de déclenchement (ne pas limiter la clause aux seules fautes du salarié, mais inclure d'autres motifs de départ) et de s'assurer que la personne qui met en œuvre la clause n'agit pas en tant qu'employeur pour éviter la confusion des fonctions.
12. Les clauses de "Bad leaver" sont-elles valables dans toutes les formes de sociétés ? Oui, elles peuvent être intégrées dans les pactes d'associés de toutes les formes de sociétés (SAS, SARL, SA, etc.), mais leur rédaction doit être adaptée au statut juridique spécifique de chaque forme sociale.
13. Comment calculer la décote applicable à un "Bad leaver" ? La décote doit être proportionnelle et justifiée. Elle peut être calculée selon une grille dégressive dans le temps (par exemple, 50% la première année, 30% la deuxième, etc.) ou selon la gravité du manquement, toujours dans le respect du principe de proportionnalité.
14. Les clauses de "Good leaver" peuvent-elles prévoir des avantages financiers ? Oui, elles peuvent prévoir un rachat à la valeur réelle sans décote, voire avec une prime dans certains cas (retraite après long service, invalidité, etc.), à condition que ces avantages restent raisonnables et justifiés.
15. Quelle est la durée type d'une clause de "Bad leaver" ? La pratique retient généralement une durée de 5 ans à compter de l'entrée de l'associé au capital, avec souvent un système de décote dégressive. Au-delà, l'associé est considéré comme ayant suffisamment contribué à l'entreprise.